Stevenson, trekkeur avant l'heure
Mais qu’est-ce donc qui faisait marcher Stevenson ? Quelle mouche l’avait piqué lorsque se lança le dimanche 22 septembre 1878 au Monastier–sur-Gazeille en Haute Loire dans cette équipée incongrue et harassante qui devait le mener le jeudi 3 octobre à Saint Jean du Gard ? Certes, l’Ecossais Robert Louis Stevenson, alors âgé de 28 ans, aimait la randonnée. Il avait précédemment écrit dans une revue anglaise un peu snob, une demi-douzaine de pages sur les Walking Tours, parcours à pied plus longs que des promenades, mais sans être de véritables expéditions. Il y édictait un certain nombre de principes : la randonnée doit être solitaire pour éviter de fastidieux bavardages ; son but essentiel n’est pas de contempler des paysages ; elle a pour effet bénéfique d’arrêter la pensée ; elle n’est vraiment agréable qu’à l’étape lorsqu’on se retrouve épuisé, « purgé de toute étroitesse et de tout orgueil ». Pour Stevenson, la randonnée était donc une sorte d’ascèse.
mais pour autant ...
Stevenson est-il un modèle pour le randonneur actuel ?
A certains égards, Stevenson est une sorte de caricature du randonneur moderne. Son récit peut être interprété comme un résumé de tout ce qu’il ne faut pas faire quand on se lance, 120 ans après lui, dans la randonnée. Faire l’épreuve de sa résistance physique ? Bien sûr. Mais Stevenson souhaite aller jusqu’à l’épuisement pour lui et sa compagne d’infortune. Se dépayser ? Certes. Mais il exagère jusqu’à se perdre. Il aurait eu en horreur les topos et les balises !
Mais sur son chemin, il rencontrait beaucoup plus de gens du pays
que nous ne le faisons actuellement. Il parlait aux bergers, aux nombreux paysans dans les champs, aux habitants attablés dans les cafés. Ces rencontres sont devenues plus rares et la communication moins spontanée qu’au siècle précédent.
Un jeune homme malheureux
Lorsqu’il entreprit son périple dans les Cévennes, l’écrivain était alors fort malheureux. La femme qu’il aimait, Fanny Osbourne, une Américaine mariée et mère de deux enfants, venait de repartir dans son pays. Par la suite, Stevenson épousera Fanny et grâce à
elle, il deviendra un écrivain de renommée internationale. C’est à elle qu’il destine son journal « voyage avec un âne dans les Cévennes » mais aussi à son père, qu’il n’aimait jamais autant
que lorsqu’il était loin de lui et qui soutiendra mordicus, que ce voyage avec un âne, n’était… qu’une ânerie.
Pourquoi les Cévennes ?
Une équipée hors norme pour l’époque
Voilà comment Stevenson était perçu par les locaux :
« Un voyageur de mon genre, cela ne s’était jamais encore vu dans cette région. On me regardait avec mépris, comme quelqu’un qui projetait un voyage dans la lune, mais pourtant avec un intérêt respectueux comme un homme en partance pour le pôle inclément. Ils étaient tous prêts à m’aider dans mes préparatifs ; une foule d’amis me donnèrent leur appui au moment critique de conclure une affaire ; pas une démarche qui ne fut saluée par des verres et célébrée par un souper ou un petit déjeuner. »
Un équipement à toute épreuve
Stevenson était un randonneur prévoyant : voilà la liste de son équipement : les deux gros volumes du livre sur les Camisards « les pasteurs du Désert » (2000 pages), un révolver, une lampe à alcool, une casserole, une lanterne, des chandelles, une grosse gourde en cuir, des rechange chauds, un costume de voyage, une vareuse, une couverture, des gâteaux, du saucisson en boîte, un gigot, une bouteille de Beaujolais, un batteur à œufs, une énorme quantité de pain noir (pour Modestine) et blanc, et enfin, un monumental sac de couchage de son invention, fait de toile de bâche à l’extérieur et de peaux de mouton à l’intérieur. Au total plus d’une centaine de kilos à transporter. Un âne était donc indispensable. Mais Modestine était accoutumée à tirer une charrette et non pas à porter un bât mal équilibré !
Modestine
Après s’être séparé de son ânesse au terme de son voyage, Stevenson regrette sa compagne récalcitrante :
« Ce ne fut pas avant d’être installé à côté du cocher…que je me rendis compte de mon deuil. J’avais perdu Modestine. Jusqu’à ce moment là, je croyais que je la détestais ; mais maintenant qu’elle était partie, quelle différence pour moi ! pendant douze journées, nous avions été d’intimes compagnons…passé le premier jour, bien qu’offensé parfois et distant d’allure, j’étais resté patient ; et quant à elle, la pauvre, elle en était arrivée à me considérer comme un dieu. Elle aimait manger dans ma main. Elle était patiente, élégante de forme, couleur d’une souris idéale…Ses défauts étaient ceux de sa race et de son sexe ; ses vertus lui étaient propres. » (extrait de « un journal de route en Cévennes »)
Comme Stevenson, faisons profit de tout l’imprévu que nous pouvons trouver sur notre chemin, et demeurons convaincus que grâce à la randonnée, nous arriverons « meilleurs » à l’arrivée qu’au départ, heureux d’avoir parcouru un « chemin d’aventure » …
En partant dans les Cévennes, Stevenson voulait confronter ses souvenirs d’enfance se rapportant à l’important mouvement religieux qui opposa dans l’ Ecosse du XVIIème siècle, les adeptes du presbytérianisme et le gouvernement en place, à l’histoire similaire des Camisards français et à leur combat pour la liberté de conscience. En partant dans les Cévennes, Stevenson voulait confronter ses souvenirs d’enfance se rapportant à l’important mouvement religieux qui opposa dans l’ Ecosse du XVIIème siècle, les adeptes du presbytérianisme et le gouvernement en place, à l’histoire similaire des Camisards français et à leur combat pour la liberté de conscience.